LE MEGACORPORATISME | 2072 | notes du dossier

Au cours du 21e siècle, l'économie capitaliste a subi une transformation vers une économie corporatiste ou mégacorporatiste. Cette transformation a occupé toute la première moitié du siècle, de 1999 à 2042, pour arriver à la situation que l'on connaît actuellement. On considère généralement que le point de départ se trouve dans trois décisions de la cour suprême des Etats-Unis, prises entre 1999 et 2001, qui ont initié une série de changements débouchant sur l'avénement des mégacorporations et de la cour corporatiste.


LES DECISIONS DE LA COUR SUPREME DES ETATS-UNIS (1999-2001)

The United States versus Seretech Corporation (1999)
La grève des camionneurs américains qui commenca à la fin de l'année 1998 provoqua de graves problèmes d'approvisionnement en nourriture dans l'agglomération de New York. Le 21 février 1999, sur Staten Island, à New York, un groupe d'émeutiers attaqua un camion frigorifique de la corporation Seretech, pensant qu'il transportait de la nourriture. Il s'agissait en fait de déchets médicaux contagieux. Les employés de Seretech à bord du camion utilisèrent leurs armes pour repousser les émeutiers. Le camion resta bloqué jusqu'à l'arrivée de membres du service de sécurité de la société. Il fut finalement amenné jusqu'aux locaux de Seretech à Linden, dans le New Jersey. Les émeutiers encerclèrent le batîment et tentèrent de pénétrer dans l'enceinte. Au matin du 22 février, la police intervint finalement pour mettre un terme au siège. Le bilan était de 20 morts parmi les employés de Seretech et près de 200 parmi les émeutiers.
La fusillade s'étant déroulée dans les états de New York et du New Jersey, le département de la Justice des USA se saisit de l'affaire et inculpe Seretech pour négligence criminelle. L'administration Lynch comptait utiliser l'affaire pour enrayer la croissance des forces de sécurité privées. Le comportement des agents de sécurité et l'emploi de la force pour empêcher le pillage du véhicule puis du bâtiment, ainsi qu'un risque sanitaire certain, ne pouvait pas être remis en cause sur le terrain juridique. L'accusation porta à la place sur la décision prise en premier lieu par Seretech de procéder au transport de matières contaminées alors que la ville de New York était en proie à des émeutes et des pillages, et sur celle de déplacer le véhicule sur plusieurs kilomètres jusqu'à Linden, au lieu de rejoindre l'un des postes de police qui se situaient moins loin. La pièce centrale du dossier était la transcription complète des communications, sur plusieurs heures, entre les gardes, les responsables de la sécurité, et la direction de la société.
Seretech fut condamné en première instance, mais gagna en appel. La décision de la cour d'appel du deuxième circuit contenait déjà les points essentiels de la décision à venir de la cour suprême. Elle jugeait que toutes les conséquences qui découlent ou peuvent découler de l'activité d'une corporation était sous la responsabilité de celle-ci. L'état, en autorisant une entreprise privée à transporter des déchets contaminés, l'autorise et l'oblige nécessairement à prendre les mesures nécessaires à ce transport. Cette responsabilité est continue, et justifie que la corporation utilise tous les moyens à sa disposition, tant qu'ils sont suffisants, plutôt que d'en reporter le fardeau sur la collectivité. Ce que le jugement appelait "continuité de la reponsabilité" fut rapidement désigné par les experts juridiques comme le "principe de la première balle" : dans une explication restée celèbre, un consultant la chaine juridique expliqua que, suivant cette décision, dès lors qu'un employé de Seretech s'était retrouvé dans la situation de tirer un coup de feu, l'ensemble du personnel de la corporation à travers les cinquante états aurait eu le droit de venir à New York et de vider son chargeur.
Le gouvernement, décidé à faire condamné à Seretech, fit porter l'affaire devant la Cour suprême avant la fin de l'année 1999. Finalement, dans une décision de 193 pages, explorant méthodiquement la nature juridique des corporations depuis Dartmouth College v. Woodward (1819), et la responsabilité découlant de leur activité commerciale, la cour suprême donnait raison à Seretech.
Elle alla aussi plus loin que la cour d'appel. Rappelant que les droits constitutionnels des corporations, en tant que personnes morales, ont été reconnu par Santa Clara County v. Southern Pacific Railroad (1886), elle jugea que les forces de sécurité corporatiste pouvaient répondre au besoin d'une "milice bien organisée", "nécessaire à la sécurité de l'état", énoncé par le Deuxième Amendement. Ce raisonnement interdisait de fait au gouvernement toute tentative de réguler par la loi les forces de sécurité corporatistes.

The Nuclear Regulatory Commission versus Shiawase Corporation (2000)
La corporation Shiawase avait ouvert en 1997 un site de production d'aluminium en Californie. Cette usine était alimentée en électricité par le réseau électrique régional. L'augmentation du tarif de l'électricité connu sur une période de six mois une hausse de 550%. Shiawase fit alors une demande auprès de la Commission de régulation nucléaire (NRC) pour construire une centrale nucléaire. Le réacteur prévu, du type des réacteurs de recherche, avait une puissance réduite qui ne devait servir qu'à alimenter l'usine.
La demande de Shiawase fut rejetée par la NRC. L'argumentaire de la commission reposait sur l'idée que les risques que représentaient un réacteur nucléaire n'étaient acceptables que s'ils étaient contrebalancés par l'intérêt général ; elle refuserait pour cette raison l'installation de tout réacteur nucléaire dont la finalité ne serait pas commerciale. L'affaire fut portée devant les tribunaux, jusqu'à la Cour suprême. Shiawase affirmait répondre à toute les réglementations pour ce type d'installation, et que sa capacité de production correspondrait précisément aux besoins de l'usine. Elle accusait la commission d'outrepasser ses prérogatives en altérant les conditions non pas du marché de l'électricité, mais du marché de l'aluminium.
La NRC avait bâti sa position sur une fondation qu'elle pensait solide : Wickard v. Filburn (1942) avait établi de longue date que le pouvoir du gouvernement pour réguler le commerce l'autorisait à réguler des activités non commerciales qui affectaient le commerce. Informés de la stratégie adverse, les avocats de Shiawase firent voler en éclat cette fondation dès le procès en première instance. Wickard v. Filburn autorisait le gouvernement à empêcher la surproduction agricole pour maintenir les prix, alors que dans le cas présent, la production d'électricité et d'aluminium étaient en sous-capacité, avec des prix à la hausse, qui ne constituaient pas de l'aveu même du gouvernement un objectif économique souhaitable.
De façon prévisible, la NRC perdit en première instance, et de nouveau devant la cour d'appel du neuvième circuit. La cour suprême fut saisi du dossier. Les juges de la cour suprême validèrent encore une fois le raisonnement des avocats de Shiawase sur la régulation du commerce, autorisant la construction du réacteur. Mais l'affaire mis également la cour suprême en position d'examiner l'ensemble des conditions posées par la NRC. Parmi celles-ci, la NRC exigeait que les forces de police locales participent à la sécurité de la centrale. Cette réglementation avait été mise en place spécifiquement pour contourner les termes de United States v. Seretech (1999), qui faisait des autorités le dernier recours en cas de défaillance de la corporation dans ses obligations. Les juges, apparement mécontents de voir leur jurisprudence remise en cause si rapidement, censurèrent cette disposition, réaffirmant la responsabilité des corporations dans la sécurité de leurs activités.

The Nuclear Regulatory Commission versus Shiawase Corporation (2001)
Le procès entre la NRC et Shiawase attira l'attention des médias sur l'usine et sur la centrale électrique de Shiawase, qui fut installée en quelques mois (les éléments avaient été pour la plupart déjà fabriqués à Singapour). Des membres du groupe écologiste terroriste Terrafirst tentèrent peu après de s'introduire dans la centrale pour poser une bombe. Bien équipés et préparés, ils réussirent à arriver jusqu'à l'extérieur de la zone de confinement avant d'être repéré et neutralisé par les gardes de sécurité.
La commission de régulation nucléaire voulut utiliser l'affaire pour obliger Shiawase à arrêter sa centrale en saisissant la justice pour négligence criminelle et mise en danger d'autrui. Shiawase démontra devant la justice que ses forces de sécurité aurait pu arrêter un commando terroriste trois fois plus nombreux, et que les terroristes avaient pu s'introduire sur le site parce que la NRC avait obligé Shiawase a séparer complètement la sécurité de l'usine d'aluminium de celle de la centrale électrique. La démonstration de Shiawase détaillait également plusieurs dizaines de réglementations et de lois dont l'application réduisait le niveau de sécurité de la centrale.
Dans la prolongation des récentes décisions United States v. Seretech (1999) et Nuclear Regulatory Commission v. Shiawase (2000), Shiawase rappelait qu'une obligation de sécurité découlait de son activité d'exploitant d'une centrale nucléaire. Si le législateur imposait des réglements et des lois ne permettant pas d'assurer le niveau de sécurité suffisant d'une centrale nucléaire, alors il ne pouvait en autoriser l'exploitation. Il le faisait déjà implicitement en n'autorisant pas un particulier à construire un réacteur nucléaire. Invoquant à la fois Lochner v. New York (1905) et West Coast Hotel Co. v. Parrish (1937), les avocats de la corporation rappelaient que la cour suprême n'avait autorisé le législateur a s'ingérer dans la liberté de contrat garantie par les Cinquième et Quatorzième Amendements que pour des raisons spécifiques, pour protéger la sécurité, la santé, la morale et le bien-être général. Lorsque l'application d'une règlementation ou d'une loi menaçait de façon évidente la sécurité, la santé, la morale ou le bien-être général, le législateur ne pouvait plus se prévaloir de cette autorisation. Shiawase mettait la cour et le gouvernement face à un choix : faire fermer toutes les centrales nucléaires du pays, ou laisser aux exploitants une liberté totale pour remplir les critères requis en matière de sécurité. Leur argumentaire employait pour la première fois le concept d'extraterritorialité corporatiste pour demander une application différenciée du droit dans l'enceinte des locaux d'une corporation.
Après plusieurs semaines de délibération, la cour suprême rendit son verdict en faveur de Shiawase. Anticipant la portée de leur décision, les juges tentèrent d'en limiter les conséquences. Ils détaillèrent les activités économiques dont la jurisprudence permettait de dire qu'elles mettaient en jeu de façon indiscutable la sécurité, la santé, la morale ou le bien-être général. Outre les centrales nucléaires, le raisonnement était étendu aux usines de produits chimiques, de traitement des déchets, d'armements, aux services liés à la sécurité nationale, au pompage d'eau, à la production agroalimentaire et aux hopitaux. Dans ces domaines, les fournisseurs et prestataires avaient désormais une liberté absolue de contrat entre eux. Le gouvernement ne pouvait plus légiférer au-delà du contrat avec le client. Les salaires, les heures de travail, les mesures et procédures de sécurité, l'utilisation du matériel, echappaient à toute forme de régulation ou de législation tant qu'ils n'affectaient pas le produit ou le service commercialisé. Les juges limitèrent également cette liberté au lieu de travail, interdisant ainsi à l'employeur d'enfreindre les droits de ses salariés à l'extérieur. Ils établissaient ainsi le principe d'extraterritorialité tel que les avocats de Shiawase l'avaient exposé.


EXTRATERRITORIALITE OU EXTERRITORIALITE ?
Dans la terminologie juridique classique, l'extraterritorialité est l'application de la loi d'un état à l'extérieur du territoire de celui-ci (étymologiquement, le territoire désigné est celui dont la loi s'applique). L'exterritorialité est l'absence d'application de la loi d'un état sur son propre territoire (le territoire désigné est celui dont la loi ne s'applique pas).
Au 20e siècle, le premier terme a progressivement remplacé, et de façon abusive, le second. Le régime juridique des enceintes diplomatiques et corporatistes est bien celui de l'exterritorialité. Contrairement à une croyance popularisée principalement par les films, la loi d'un pays ne s'applique pas dans ses ambassades et consulats (cf. Persinger v. Islamic Republic of Iran (1983) à propos de l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran par exemple). Les corporations ne sont pas des états et n'ont pas de territoire propre dont la loi pourrait s'appliquer dans leurs locaux (Shiawase, corporation enregistrée dans la préfecture d'Osaka, n'applique pas la loi japonaise dans ses locaux américains par exemple).
Pour ajouter à la confusion, en accordant sans base juridique aux corporations basées aux Etats-Unis les mêmes droits que ceux dont ils disposaient là-bas, certains pays ont donc permis une application extraterritoriale du statut exterritorial que leur avait donné la justice américaine.
LES CONSEQUENCES (2001-2011)

Aux Etats-Unis
A ce moment, la décision de la cour suprême, très technique, ne semblait pas devoir avoir de conséquences majeures. Il n'était pas encore question d'enfreindre la loi criminelle : les employés demeuraient des résidents américains, et les corporations continuaient de coopérer avec les forces de l'ordre lorsqu'un crime était commis dans leurs locaux. De toute façon, le gouvernement n'avait pas d'alternative viable : de par la logique même de la décision, les industries concernées avaient un rôle vital, et leur arrêt ou leur nationalisation était impensable. Sous l'impulsion de l'administration Hunt, les industries dont le fonctionnement était désormais libre se retrouvèrent néanmoins soumis à une surveillance accrue et de plus en plus contraignante de leurs produits et de la pollution. Cette politique eut pour principale conséquence d'éliminer les acteurs les plus petits, incapables de s'adapter au nouvel environnement réglementaire. Shiawase fut soumise à des contrôles et des enquêtes particulièrement nombreuses et fréquentes. La corporation retourna la situation à son avantage, en communiquant sur le réglement intérieur et le code de conduite qu'elle avait mis en place pour améliorer les conditions de travail de ses employés. De plus, elle créa de nombreux emplois en développant son activité nucléaire aux Etats-Unis. Parmi les autres sociétés qui explorèrent les possibilités offertes par le nouveau statut, General Motors put améliorer de façon impressionante le rendement de ces unités de production de batteries et de peinture de carrosserie (qui entraient dans la catégorie des produits chimiques), acquérant une expérience qui permettra à ses filiales Delphi et EDS de devenir les principaux prestataires de services auprès des entreprises opérant sous statut extraterritorial.
Mais ce sont les sociétés pétrolières et minières qui vont les premières entreprendre de tirer véritablement parti du système. Dès 2002, elles ont réussi à faire passer leurs sites d'extraction sous statut extraterritorial en les faisant classer comme usines chimiques ou sites de traitement des déchets, en raison des produits utilisés sur place. Certaines ont même réussi à obtenir que des puits de gaz de schiste aient un statut extraterritorial en tant que stations de pompage d'eau, alors même que leurs opérations d'extraction polluaient la nappe phréatique et que l'eau extraite, impropre à la consommation, servait uniquement à celles-ci. Ces artifices juridiques ont ouvert la porte à l'exploitation du sous-sols des réserves naturelles et des réserves indiennes, avec le soutien actif de l'administration Bester, arrivée au pouvoir en 2005. A la fin de la décennie, les entreprises qui bénéficiaient de l'extraterritorialité pour des activités qui n'entraient pas dans le périmètre de la décision de la cour suprême étaient si nombreuses que le congrès passa un loi qui permettait au département du commerce d'attribuer ce statut à n'importe quelle société "d'importance nationale." A cette époque, le gouvernement fit d'ailleurs un large usage de cette possibilité pour tout ce qui touchait à l'internement des amérindiens.

Dans le reste du monde
A la fin des années 2000, les Etats-Unis connurent une phase de croissance économique, tirée principalement par la baisse du prix des matières premières et la reconstruction de New York après le tremblement de terre (malgré les pertes humaines et matérielles, cet événement tragique s'avéra être une chance pour le secteur du BTP, à New York et à Boston, où de nombreuses sociétés déménagèrent). Dans le reste du monde, les gouvernements furent tentés de reproduire tout ou partie de la recette américaine.
Au Japon, les grands groupes comme Shiawase et Mitsuhama firent pression sur le gouvernement, menaçant de délocaliser une part croissante de leurs activités aux Etats-Unis. Shiawase, en particulier, utilisait l'exemple de sa division américaine pour montrer les bénéfices qu'il était possible de tirer du statut extraterritorial. Lorsque le gouvernement modifia la Constitution pour permettre la participation de troupes japonaises aux combats contre les nords-coréens, les lois régissant l'activité des entreprises furent considérablement assouplies. Peu de temps après, la Corée adopta une législation similaire, pour contribuer au rapprochement économique entre les deux pays et inciter les entreprises japonaises à investir en Corée du nord.
En Europe, la libéralisation de l'économie devint également un enjeu politique majeur. Malgré les réticences des français et des pays scandinaves, l'Union Européenne imposa une déréglementation du travail et la possibilité pour les entreprises de l'UE d'opérer dans toute l'union suivant les lois et la réglementation de leur pays d'origine. Le consortium slovène Keruba International fut parmi les groupes qui tirèrent parti de cette possibilité. La portée de ces décisions étaient néanmoins considérablement moindre que le statut extraterritorial américain. Cela n'empêcha pas les opposants à ces lois de procéder au rapprochement, de façon caricaturale. Les commentateurs américains eux-mêmes étaient prêts à voir dans la politique européenne la démonstration du leadership économique américain.
Dans le reste du monde, la décision Shiawase fut suivie de peu d'effets. Mais la multiplication des forces de sécurité permit aux corporations de prendre leur autonomie dans les pays du tiers-monde et les pays en voie de développement. Elles ne dépendaient alors plus ni du gouvernement local, ni des états occidentaux, pour assurer leur sécurité et protéger leurs activités.

La première guerre corporatiste
L'indépendance acquise par les corporations devint évidente lors du conflit entre Keruba et BMW en 2010. Keruba avait été la première compagnie à fournir un véhicule blindé à poussée vectorielle opérationnel au début de la décennie. Les premiers projets des industriels occidentaux pour développer ce type de véhicules buttaient sur des prix beaucoup trop élevés pour les budgets militaires de l'époque. Le véhicule de Keruba, plus rustique, fut acquis par plusieurs pays d'Europe de l'est, du proche-orient, et même par les forces spéciales de certaines pays occidentaux. Le succès remporté par ce type de véhicule incita les firmes concurrentes à revoir leur copie.
En 2010, BMW présenta un prototype, construit autour d'un nouveau modèle de turbine conçu par sa filiale BMW Rolls-Royce et de systèmes électroniques de pointe. Son carnet de commandes fut rapidement rempli, au détriment de Keruba. Le laboratoire de recherche et développement de BMW à Dahlewitz, près de Berlin, fut détruit par une bombe incendiaire, après l'attaque d'un commando lourdement armé. Les enquêteurs recrutés par BMW n'attendirent pas les conclusions de la police pour désigner les coupables, une équipe de mercenaires recrutés par Keruba. Michel Beloit, le patron de BMW, décida de riposter en lançant une série d'actions clandestines contre Keruba. La première fut le piratage informatique d'un satellite de communication de Keruba, qui manqua de peu de le faire plonger dans l'atmosphère.
Les dégâts causés des deux cotés par cet affrontement coutèrent près d'un milliard de dollars. L'affaire fut largement etouffée, mais elle fit date. Bien que l'enjeu portait sur une technologie militaire, les autorités gouvernementales furent tenues à l'écart par les deux groupes. Il faut dire que, au moins du coté allemand, la Bundeswehr ne considérait pas alors les véhicules blindés à poussée vectorielle comme un axe majeur de développement. D'autres gouvernements s'inquiétaient au contraire qu'une enquête officielle révèle les contrats et les financements des deux industriels de l'armement.


LE SYSTEME CORPORATISTE (2011-2042)

Le conseil inter-corporatiste
La justice arbitrale internationale utilisée jusque là par les entreprises pour régler leurs différents se révélait incapable de répondre à ce type de situation de façon suffisament rapide. Sept sociétés, dont BMW et Keruba International, ainsi que Shiawase, Mitsuhama Computer Technologies, Ares Industries (ex-General Motors), JRJ International et ORO, créèrent en 2011 le conseil inter-corporatiste, une structure permanente d'arbitrage. Mais, dans la pratique, les délégués envoyés par les corporations auprès du conseil étaient des cadres subalternes, qui étaient soigneusement tenus dans l'ignorance de la situation et des faits. En 2013, la médiation du conseil n'eut aucune prise sur le conflit entre Keruba et ORO. Une série d'aggressions informatiques menées par les pirates des deux sociétés déborda dans le monde réel, et les actions qui suivirent firent plusieurs dizaine de morts. L'échec du conseil inter-corporatiste était patent.

La cour corporatiste
Il fallu attendre dix ans de plus avant qu'une nouvelle initiative voit le jour. Feignant d'ignorer son échec, les mêmes corporations qui étaient à l'origine du conseil inter-corporatiste se mirent d'accord pour le transformer et le doter de nouveaux pouvoirs. La cour corporatiste fut établie en 2023. Cette cour se compose de treize juges permanents, élus pour un mandat de 78 mois sur proposition des corporations. Les statuts, jamais modifiés, prévoyait que chacune des sept fondatrices - Ares Industries, Aztechnology (ex-ORO), BMW, JRJ International, Keruba International, Mitsuhama Computer Technologies et Shiawase - devrait toujours être représenté au sein de la cour.
Ces nouveaux statuts prévoyaient également une obligation pour les corporations de soumettre leurs différents à la cour, de lui fournir des documents complets et non censurés, et que leur dirigeants puissent être auditionnés en personne. Mais surtout, la cour pouvait ordonner aux autres corporations d'appliquer des sanctions contre les contrevenants. Officiellement, les sanctions possibles devaient se limiter à l'arrêt des relations commerciales, au refus de prêts, à l'annulation des licenses d'utilisation des brevets fondamentaux et au blocage des interconnexions de réseaux de communications. Officieusement, des attaques en bourse et des actions de sabotage ont toujours accompagné ces sanctions, dans le cadre d'une stratégie d'intimidation. L'objectif était en effet désormais de fédérer le plus grand nombre possible d'entreprises multinationales, qui s'engageaient ainsi à de ne pas mener d'opérations trop dommageables pour le commerce international (tel que réaliser des transactions boursières à haute fréquence, paralyser le réseau Internet ou créer des débris en orbite basse), en se surveillant mutuellement.
Le pouvoir de la cour corporatiste était désormais réel. A cause de la rivalité qui les opposait, aucune des sept fondatrices ne se montra prêt à lacher les postes de juges qu'elle détenait. Les autres corporations commençaient à se plaindre de cette mainmise et certaines envisageaient de se détourner de la cour, quand survint le crash informatique de 2029. La crise économique qui suivit obligea les corporations à serrer les rangs derrière celles qui étaient désormais les plus importantes d'entre elles. A la même époque, les corporations de la cour corporatiste offrirent aux pays actionnaires de la banque mondiale de leur racheter la dette des pays en voie de développement. A cause de la crise économique, les pays industrialisés avaient besoin de liquidités pour boucler leurs budgets. Les corporations établirent la Zurich-Orbital Gemeinshaft Bank en Suisse, qui devenait la principale institution financière de la planète. L'économie mondiale était désormais fermement dans les mains des corporations.

REPERES CHRONOLOGIQUES
20112022202320242029203420362042205920652067
Conseil inter-corporatiste Cour corporatiste
Ares Industries Ares Macrotechnology
BMW Saeder-Krupp
JRJ International Fuchi Industrial Electronics Novatech Neonet
Keruba International Renraku Computer Systems
Mitsuhama Computer Technologies
ORO Aztechnology
Shiawase
  Yamatetsu Evo
  Wuxing
  Cross Applied Technologies  
  Horizon
LE NUYEN
Contrairement à une idée répandue, le Nuyen n'est pas la devise officielle japonaise, bien qu'il utilise le même symbole (¥). Il s'agit d'une monnaie privée (corporate scrip en anglais), créée à l'origine par un consortium de corporations japonaises et gérée par la Pacific Rim Bank (PRB) pour permettre à leur clients d'effectuer des transactions avec leurs filiales quelque soit le pays où ils se trouvent. Dans les années 2030, le Nuyen était la principale devise en circulation dans la zone Asie-Pacifique. Fuchi Industrial Electronics et Renraku Computer Systems, qui avaient racheté respectivement JRJ International et Keruba International, estimaient que, comparés aux autres corporations japonaises, leur influence dans les décisions de la PRB n'étaient pas à la hauteur de leur importance. Elles poussèrent pour que le Nuyen soit désormais géré par la Zurich-Orbital Gemeinshaft Bank, sous le contrôle de la cour corporatiste, en faisant miroiter aux corporations japonaises l'accès au marché mondial, et aux corporations occidentales l'accès au marché asiatique.

Les accords de reconnaissance du commerce
Le système corporatiste bâti au fil des événements fut remis à plat en 2042. Cette année-là, la cour corporatiste proposa aux gouvernements les accords de reconnaissance du commerce, ou ARC (en anglais, business recognition accords, ou BRA). Les corporations étaient sorties en 2039 victorieuses d'un bras de fer avec le gouvernement français pour fixer les droits dont elles pouvaient disposer en France. Les ARC devaient définir une norme internationale pour l'extraterritorialité corporatiste, son application, et ses bénéficiaires. La plupart des gouvernements ratifièrent les ARC (la Mandchourie, l'Iakoutie, l'Amazonie, le Tir Tairngire, l'Irlande, la Suisse et l'Aztlan font partis des états qui refusèrent de le faire). Pour obtenir ce résultat, elles proposaient un régime extraterritorial d'une portée limitée, qui est appliqué par exemple en Pueblo et aux CAS. Les gouvernements qui le souhaitaient gardaient la possibilité d'accorder des facilités supplémentaires, comme c'est le cas aux UCAS.
Le point le plus important des accord était la valeur légale attachée à la notation de la cour corporatiste. Les accords prévoyaient que l'extraterritorialité devait être accordée aux corporations qui recevaient de la cour une note AA ou AAA. La note A est attribuée à toutes les entreprises multinationales qui le demandent. L'obtention de la note AA est conditionnée par la taille de la corporation, la diversité de ses activités et sa stabilité. La note AAA signale que l'importance d'une corporation dans l'économie mondiale justifie qu'elle soit représentée dans la composition de la cour. La cour corporatiste entendait ainsi décourager activement les avantages que certains états donnaient à des corporations plus petites, qui ne reconnaissaient pas son autorité. Ce mode de fonctionnement était également sensé éviter que des corporations qui ne fourniraient pas des garanties de stabilité suffisantes aient une force militaires ou des engagements financiers qui pourraient tomber hors de contrôle en cas de faillite.
Les ARC ont définitivement inscrit la cour corporatiste dans le cadre légal international. Se faisant, elle mettait un frein aux vélléités de certaines corporations de se dissocier de la cour pour créer une nouvelle structure d'arbitrage. En signe de bonne volonté, les sept fondatrices permirent finalement à une nouvelle corporation d'être représentée à la cour. Le choix se porta sur Yamatetsu, pour obtenir le soutien du gouvernement japonais pour faire ratifier les accords. C'est cette configuration qui devait prévaloir pour les vingt années suivantes.

RESTRICTIONS A L'EXTRATERRITORIALITE
Le cadre légal appliqué aux UCAS est souvent considéré comme la référence en matière d'extraterritorialité corporatiste. Le gouvernement canado-américain est allé bien au-delà des recommandations de la cour corporatiste. D'autres pays signataires des accords de reconnaissance du commerce appliquent des réglementations sensiblement plus contraignantes. Quelques exemples :
- Allemagne : Seules les filiales détenues à 100% bénéficient de l'extension des privilèges extraterritoriaux de leur maison-mère.
- CAS : Une agence du bureau du commerce, l'ERLA (Extraterritoriality Registry and Liaison Agency) doit approuver toutes les transactions d'achat ou de crédit-bail d'un terrain ou de locaux par une mégacorporation.
- Québec : Le gouvernement québécois a défini un nombre limité de "zones d'entreprises" (12 dans l'agglomération de Québec et 18 dans celle de Montréal). Chaque zone a fait l'objet d'un appel à candidature, avec le dépot d'un dossier décrivant les installations et les activités prévues. Les corporations retenues ne dispose des privilèges extraterritoriaux qu'à l'intérieur de ces zones.
- Pueblo : Toutes les sociétés dont le chiffre d'affaires annuel excède 100 millions de nuyen sont soumises à deux audits annuels de leurs pratiques commerciales pour conserver leur license commercial.

LES CONFLITS CORPORATISTES MODERNES (2043-2060)

L'opération Reciprocity et la résolution Veracruz
La légitimité internationale nouvellement acquise par la cour corporatiste fut rapidement mise à l'épreuve. En 2044, le gouvernement aztlan annonça qu'il renonçait à ratifier les accords de reconnaissance du commerce et mettait fin aux négociations entamées avec la cour corporatiste. Pour ne pas aller à l'encontre de la politique promue sur le plan international par la cour, le gouvernement aztlan demandait aux corporations présentes sur son territoire de procéder à des "aménagements" de leur situation. Les demandes des autorités aztlanes revenaient dans les faits à des nationalisations.
Cette décision provoqua une crise diplomatique majeure. La cour corporatiste imposa plusieurs séries de sanctions économiques contre l'Azlan avec le concours des corporations. Leur impact resta limité en l'absence de coopération de la part d'Aztechnology. Cette dernière permettait à l'Aztlan de contourner les sanctions grâce aux echanges entre sa maison-mère et ses filiales dans le reste du monde. Malgré son refus de respecter les sanctions, suivant les statuts de la cour corporatiste, Aztechnology ne pouvait pas en être exclue en tant que membre fondateur. Après avoir difficilement accepté la représentation d'une nouvelle corporation à la cour, une majorité des membres fondateurs ne voulaient pas d'une réforme qui aurait créer un précédant pouvant ensuite se retourner contre eux. La cour courrait le risque de paraître impuissante, au point qu'Aztechnology pouvait dans le même temps menacer de quitter volontairement la cour pour recouvrer son droit de faire appel à une autre structure arbitrale.
Pendant près de quatre ans, les négociations allaient reprendre et s'interrompre, au fil des rencontres officielles et secrètes, ponctués de communiqués et de fuites dans les médias. A plusieurs reprises, les tensions accumulées vont être la source d'affrontements directs, comme les échanges armées entre Aztechnology et Shiawase à Seattle en 2047, qui impliquent des véhicules blindés à poussée vectorielle.
La cour corporatiste opta finalement pour la démonstration de force en 2048. Lorsque le recours à la force armée est évoqué par la cour corporatiste au début de l'année 2048, Aztechnology continue sur la voie des gesticulations et des protestations diplomatiques. Un "comité de sécurité pancorporatiste" réunit en secret des représentants des corporations de la cour, exceptée Aztechnology. L'opération mise sur pied sera une attaque aérienne, impliquant des unités d'Ares Macrotechnoloy, Fuchi Industrial Electronics, Mitsuhama Computer Technologies et Saeder-Krupp (la contribution de Renraku Computer Systems, Shiawase et Yamatetsu sera uniquement d'ordre logistique). Une force de diversion composée de drones décollant de Porto Rico pénètre l'espace aérien aztlan par l'est. Au même moment, au large de la Californie, des unités aéronavales utilisent le couvert fourni par une flotte japonaise, partie d'Alameda en California pour des manoeuvres. Les navires japonais se replient et laissent les chasseurs-bombardiers corporatiste détruire le dispositif de défense aérienne dans la région de San Diego. Enfin, une flotte de bombardiers stratégiques, stationnées dans l'Ute, frappent les unités d'Aztechnology stationnée à Ensenada.
Les frappes avaient visé exclusivement des sites d'Aztechnology, sans toucher directement les forces gouvernementales. La cour était restée dans le cadre de ses prérogatives de sanctions contre une corporation. Par son envergure et les risques pris, et malgré des dégâts causées en réalité assez faible, l'opération de la cour corporatiste faisait passer un message : les corporations étaient prêtes à user de la force quand elles le jugeraient nécessaire. Ce message avait été reçu : à aucun moment, Aztechnology n'envisagea réellement de riposter. Dans les semaines qui suivirent, de nouvelles négociations débouchèrent sur la résolution Veracruz. Le gouvernment aztlan acceptait de verser des dédommagements supplémentaires aux corporations dont les filiales avaient été nationalisé, largement financés par Aztechnology. L'Aztlan ne signait pas les accords de reconnaissance du commerce, mais reconnaissait l'autorité de la cour corporatiste sur le commerce international.

La guerre corporatiste de 2057-2060
Entre août 2057 et février 2059, une série d'événements ont été à l'origine d'une nouvelle guerre corporatiste, cette fois sur plusieurs fronts. Le premier déclencheur fut l'assassinat du grand dragon Dunkelzahn, tout juste élu président des UCAS, le 9 août 2057. Dans son testament, il disséminait une partie de son porte-feuilles d'actions, qui comprenait des participations dans Ares Macrotechnology, Aztechnology, Fuchi Industrial Electronics et Renraku Computer Systems. Il léguait également d'importantes sommes en liquide aux corporations Wuxing et Yakashima.
A la même époque, Renraku Computer Systems lança en interne son Projet 5, un projet de recherche et développement qui déboucha rapidement sur la commercialisation de produits électroniques et informatiques révolutionnaires. Fuchi Industrial Electronics, qui dominait jusque-là le marché de l'électronique et l'informatique, fut le plus touché. Les services juridiques de Fuchi réunirent les preuves de plusieurs tentatives d'espionnage industriel qui pouvait être reliée à Renraku. Fuchi porta plainte devant la cour corporatiste en juin 2059. Elle accusait en particulier Miles Lanier, administrateur de Renraku depuis septembre 2057, d'avoir divulgué des informations dont il avait eu connaissance lorsqu'il occupait les fonctions de directeur de la sécurité de Fuchi. Renraku répondit par une plainte contre Fuchi pour d'autres faits d'espionnage industriel, étayé par des documents internes de Fuchi. Ces deux dossiers étaient les plus sérieux jamais déposés contre une corporation AAA devant la cour. Pendant les 72 heures que durèrent les délibérations à huit-clos de la cour, toutes les forces militaires des principales corporations furent en état d'alerte maximum. La cour corporatiste fit le choix de l'appaisement, en imposant un réglement amiable. Lanier fut contraint de céder ses parts à la Zurich-Orbital Gemeinshaft Bank et de quitter la direction de Renraku. L'affaire laissa des traces au sein de Fuchi. Contestant la stratégie imposée par les autres actionnaires d'abandonner le marché de l'électronique et de l'informatique à Renraku, le President/CEO Richard Villiers orchestra l'acquisition des filiales cédées par Fuchi par deux sociétés, Villiers International et Cambridge Holdings. En octobre 2059, il annonça qu'il quittait Fuchi Industrial Electronics pour se consacrer entièrement à Novatech, la corporation issue de la fusion de Villiers International et Cambridge Holdings. Au passage, il avait arrangé en secret la cession par Fuchi de sa filiale JRJ International au nouveau groupe. Novatech pouvait ainsi prétendre à une représentation à la cour corporatiste, en tant que maison-mère d'une corporation fondatrice de la cour. Lorsque Lynn Osborne, juge présentée par Fuchi, déclara qu'elle rejoignait Novatech, Fuchi se retrouva privé d'une représentation à la cour, la ramennant mécaniquement à la note AA au moins jusqu'à l'élection suivante. La situation de la corporation était en réalité trop mauvaise pour qu'un retour en arrière soit encore possible.
Parallèlement, la cour corporatiste faisait face à un problème tout aussi sérieux. Après le décès de Tadamako Shibanokuji, le patron de Yamatetsu, en février 2059, une nouvelle équipe de direction fut mise en place. A peine installée, elle décida de réduire ses activités au Japon, pour investir en priorité dans les autres pays de l'Asie-Pacifique. Yamatetsu se joignait officiellement au Groupe de Prospérité du Pacifique (en anglais Pacific Prosperity Group, ou PPG), une organisation économique dont l'objectif affiché était de contrebalancer le poids des corporations japonaises dans la région. En se dotant de son propre mécanisme d'arbitrage interne, le PPG se proposait de se substituer au moins en partie à la cour corporatiste, où les corporations japonaises étaient largement représentées. Afin d'ancrer le PPG dans le giron de la cour corporatiste, la corporation Wuxing, le membre le plus influent du groupe, se vit offrir une représentation au sein de la cour en juillet 2059 (à l'occasion du remplacement du juge David Hague, mort dans un crash aérien). Comme l'espérait ceux qui étaient à l'origine de cette idée, Wuxing tira avantage de sa nouvelle stature internationale, en mettant progressivement de coté les intérêts des membres du PPG plus petits.
La recomposition du paysage corporatiste s'acheva en 2060, avec l'entrée d'un nouveau membre à la cour corporatiste, Cross Applied Technologies (qui serait remplacé par la suite, en 2065, par Horizon), et le démantèlement de Fuchi Industrial Electronics, dont les actifs asiatiques furent acquis par Renraku Computer Systems, et les actifs européens par Shiawase.


CORPUS THEORIQUE
L'économie des mégacorporations repose largement sur les idées formulées dès le 20e siècle par deux économistes : Murray Rothbard et Joseph Schumpeter.

Murray Rothbard (1926-1995) est reconnu comme l'un des principaux adversaires de l'action étatique. Il exposa une théorie anarcho-capitaliste fondée sur le droit naturel dans L'Ethique de la Liberté. Pour Rothbard, l'existence et la capacité coercitive inhérente et nécessaire de l'état violent la liberté de l'individu. Surtout, Rothbard écarte le besoin d'état, et envisage que toutes ses fonctions, sans exception et y compris les fonctions régaliennes, peuvent être prises en charge par le marché. Le laissez-faire s'avère être selon lui le système économique le plus efficace. En limitant l'emploi de la force armée par les corporations aux seuls fins d'infliger des sanctions a posteriori, la cour corporatiste applique là encore les idées de l'économiste. On constate néanmoins fréquemment que les corporations emploient des moyens coercitifs et portent atteinte aux libertés et à la propriété par des moyens illégaux de façon régulière, en contradiction avec les théories de Rothbard.

Joseph Schumpeter (1883-1950) est moins souvent cité ; sa prédiction de l'effondrement inévitable du capitalisme le rend pour le moins impopulaire au sein des corporations. Cependant, le rôle central qu'il donne à l'innovation, plutôt qu'à la production, comme facteur déterminant dans l'accroissement du profit, est au coeur de la stratégie économique des corporations. Schumpeter considérait que la concurrence pure et parfaite n'était pas nécéssairement souhaitable. L'innovation permet la formation de monopoles temporaires et la génération de profit, sans nuisance excessive pour le consommateur. Dans la pratique, on observe de forts enjeux pour les mégacorporations autour de l'appropriation des innovations et des situations de monopoles temporaires qu'elles apportent, plutôt que dans la concurrence directe sur les produits.