L'introduction des Knights of Rage dans l'univers de Shadowrun remonte à la première édition et au London Sourcebook écrit par Carl Sargeant et Marc Gascoigne. Il s'agissait au départ du gang le plus dangereux de la pire zone de Londres. L'idée d'un gang dirigé par des chefs habillés en pharaons s'inscrivait résolument dans la lignée des gangs cyberpunks exhubérants, descendants des clowns d'Akira et du duc d'Escape from New York [New York 1997]. Ils étaient associés au dragon gallois Celedyr, ce qui était l'occasion de mentionner les légendes modernes sur la présence de vestiges de constructions égyptienne dans les îles britanniques. C'était un des façons par lesquelles Shadowrun évoquait la période antique où la magie existait (ce qui allait donner le jeu de rôle Earthdawn).
Le rôle des Knights of Rage auprès de Celedyr à Caerleon était alors décrit comme celui de "gardes du corps". C'est seulement dans Dragons of the Sixth World, douze ans plus tard, que les Knights of Rage de Caerleon sont présentés comme les agents de terrain du dragon, un soutien de la rebellion nubienne et un gang criminel actif à Londres et aux Pays de Galle. Entre temps, les intrigues développées autour de Dunkelzahn, Lofwyr et Ghostwalker avaient installé l'idée que les dragons de Shadowrun étaient des acteurs forcément puissants et influents. Les Knights of Rage étant les seuls serviteurs identifiables de Celedyr, ils devaient être, au moins dans l'imaginaire collectif commun aux auteurs, aux maîtres de jeu et aux joueurs, des agents de terrain d'élite. Dans Corporate Guide, alors que Celedyr et Transys Neuronet avaient rejoint la nouvelle mégacorporation Neonet, les Knights of Rage étaient présentés comme une organisation avec des "chapitres" en Grande Bretagne, en Egypte et en Australie, agissant comme un service de sécurité de la corporation. Si leur origine de gang londonien était toujours mentionnée, l'emploi du terme de "gang" était soigneusement évité.
Pendant que je préparais mon dossier sur la corporation Eurotronics et que je réfléchissais à l'intégration de ses activités dans la corporation Neonet, j'avais envisagé de réorienter le sujet pour couvrir les différents moyens d'actions clandestines de Celedyr, incluant donc Eurotronics et les Knights of Rage. Ce contraste entre le gang londonien et les agents d'élite travaillant pour un dragon et une corporation m'a intéréssé chez les Knights of Rage, parce que ces deux aspects sont difficiles à réconcilier. Suffisament difficile pour qu'on essaie en fait d'abord d'ignorer complètement le premier aspect. L'idée d'agents d'un dragon en tenue traditionnelle africaine pourrait effectivement se suffire à elle-même. Elle a le mérite (limité) de donner un peu de visibilité à une partie de l'Afrique (sur ce plan, j'avais beaucoup aimé l'idée de la série The Pretender [Le Caméléon] de placer au-dessus de la hiérarchie du Centre, basé au Delaware et dirigé par des américains blancs, un mystérieux "triumvirat" africain). Mais comme je n'aime pas mettre de coté une partie de l'univers, j'ai cherché à me composer une vision des Knights of Rage qui intégrerait les deux aspects.
L'imagination n'est pas toujours sans limite, parce qu'elle aime bien se raccrocher à des choses connues. De ce point de vue, le problème est le saut qualitatif entre l'archétype du gang de rue "en blousons de cuir" (même si les chefs préfèrent la robe traditionnelle) et celui de l'agent secret "en costume". La connexion paraîtrait sans doute plus évidente s'il s'était s'agit de la Mafia italo-américaine, des Yakuza japonais ou des Vory v Zakone russe, car on les imagine déjà en costume, et en relation, les uns avec la CIA et le Vatican, les autres avec une corporation japonaise ou un dragon oriental, les derniers avec les services secrets russes. Dans la réalité, Mafia et Yakuza sont sans doute beaucoup plus proches des gangs de rue qu'on ne l'imagine, et il existe en fait une distinction, certes poreuse, mais assez claire entre les Vory issus des prisons soviétiques et les anciens agents des services secrets corrompus. Et ce genre d'organisation criminelle est plus souvent impliqué dans la fraude aux normes de construction des immeubles que dans le trafic international de missiles anti-aériens. Mais l'imaginaire, qui se nourrit plus de fiction que de réalité, aurait eu la passerelle pour relier les deux aspects.
Ma première idéée, pour justifier de la montée en gamme des Knights of Rage, a été d'axer leurs activités criminelles sur l'immigration clandestine, et de les faire ensuite évoluer vers la falsification d'identité, la criminalité informatique et les actes magiques illégaux, qui sont autant de compétences réemployables dans le contexte d'opérations clandestines pour le compte d'un dragon ou d'une mégacorporation. L'idée du trafic d'objets d'art m'est venu à un moment où je n'avais pas encore décider de la chronologie pour l'implantation des Knights of Rage en Egypte (et en Australie), préalablement ou suite à la rebellion nubienne. J'avais rédigé et finalisé pratiquement tout le dossier quand je me suis rendu compte que la difficulté, certe relative, à entrer et sortir de la Lambeth Containment Zone. J'avais plus généralement largement occulté une des idées fondamentales des Knights of Rage, présentée dans le London Sourcebook et dans une moindre mesure dans Dragons of the Sixth World (et pas du tout dans Corporate Guide), d'une bande d'illuminés, croyants réellement à la construction de pyramides en Grande-Bretagne par des pharaons exilés et à une apocalypse prochaine apportée par les dragons. Les deux chapitres apparaissaient comme ayant des liens extrêmement ténus, et celui de Londres se caractérisait comme des croques-mitaines des gangs locaux et des mystiques farfelus, plutôt que comme une entreprise criminelle structurée. Ayant l'habitude d'écrire des choses désespèrement sérieuse pour Shadowrun, ca m'embettait de gommer toute trace de cyberpunk.
Après avoir quelque peu hésité, j'ai entrepris de réécrire tout l'historique et une partie des personnages. L'entrée du gang dans des activités criminelles internationales vient du coup après les premières opérations pour le compte de Celedyr, notamment lorsqu'ils s'implantent au Soudan pour soutenir la rebellion nubienne. J'ai expédié un peu rapidement cette réecriture, et je ne suis même pas sûr qu'il ne reste pas à quelques endroits des traces de la version précédente et donc des incohérences. Je ne suis pas complètement satisfait à l'idée que Celedyr ne jette son dévolu sur le gang uniquement pour des raisons ethniques et certaines techniques magiques, mais c'est plus fidèle à l'image originale du gang.
Cette réecriture m'a aussi donné l'occasion d'abandonner une idée qui ne me plaisait plus du tout. La référence au Moyen Age européen dans le nom de knights contrastait bizarrement avec l'héritage africain assumé. Pour justifier ce nom, j'avais au départ imaginé une moquerie de la haute société britannique, faisant référence aux Knights of the Gartner [chevaliers de la Jaretière], le plus haut ordre de chevalerie britannique. Si j'avais eu quelques compétences graphiques, j'aurais essayé de dessiner un tag au gang, reprenant les éléments du blason de l'ordre de la Jaretière. Les gangs britanniques étant plus souvent nommés en référence à leur lieu d'origine, j'ai cherché sur la carte de Southwark et Lambeth les mots knights et rage, ou n'importe quoi d'approchant. Le passage des Grange Boys aux Rage Boys me paraît assez crédible. La partie sur Knight's Hill Tunnel est un peu plus forcé, quoique l'endroit lui-même, comme lieu de torture et d'exécution du gang, pollué dans l'astral, présente un certain intérêt pour la mise en scène. En revanche, j'aime bien l'utilisation des initiales KOR, qui correspond à un usage des abbréviations plutôt répandu dans les gangs de rue londoniens actuels.
Concernant le choix des noms, je me suis un peu documenté sur les noms portés par les personnes d'origine nubienne. De façon assez peu surprenante, ce sont en fait presque exclusivement des noms arabes, puisque cette population est très majoritairement musulmane. Pour dire les choses clairement, en termes d'imaginaire, un groupe criminel basé dans un quartier pauvre d'une agglomération européenne et composé exclusivement de personnes ayant des noms arabes a tendance à faire penser au terrorisme. Je ne voyais pas vraiment l'intérêt à "casser les stéréotypes" si c'était de toute façon pour le remplacer par une autre forme de criminalité.
Joss Khalinte est un personnage qui vient du supplément Dragons of the Sixth World. Amon, l'assistant personnel de Celedyr, apparaît dans un scénario de la campagne Survival of the Fittest. J'ai mentionné ces deux personnages pour relier un peu plus mon dossier à des éléments existants, mais ca n'était pas forcément une bonne idée. Il y avait assez peu de détail sur Amon, et lui comme Khalinte sont des exemple assez marqués de cette vision tardive des Knights of Rage vus exclusivement comme les agents de terrain du dragon et plus comme un gang (telle qu'elle est écrite, la présentation de Khalinte suggère qu'il a vécu au Kenya plutôt qu'au Royaume-Uni et qu'il aurait donc rejoint les Knights of Rage directement avec le statut d'agent d'élite, sans passer par le statut de gangster londonien ou gallois). En revanche, j'ai envisagé puis abandonné l'idée de mentionner Medjay, Knight of Rage qui apparaît dans le scénario Dawn of the Artifacts: Dusk. Lui est encore plus emblématique des agents de terrain, sans relief particulier par rapport aux Knights of Rage, et se posait en plus la question de l'utilité, alors qu'il n'a peut être pas survécu à tous les groupes qui ont joué ce scénario.
Les personnages de Kyle Mansour et Jibril Razek sont inspirés de façon lointaine respectivement par l'acteur Idriss Elba, à un moment où Internet évoquait l'idée que l'interprête de Stringer Bell dans The Wire pourrait aussi bien être le prochain James Bond (un itinéraire qui me faisait effectivement penser aux Knights of Rage) et de la prestation de Ving Rhames dans le rôle de Quito Real dans la série Undercover. Ni l'un ni l'autre n'ont des origines nubiennes cependant. Le personnage de Rafiq Qader sert surtout à faire une référence à mon dossier sur la corporation Revlup, qui mentionne la prison de Hewell et les changements politiques survenus au Royaume-Uni.
A l'inverse, il n'y avait pas vraiment de stéréotype de criminels gallois, dans une région dont l'urbanisation et la délinquance restent somme toute assez limitée. D'où l'idée d'aller recruter pour les Knights of Rage dans les rangs du hooliganisme local. L'idée d'un footballeur lié à un gang est arrivé au moment de l'"affaire Valbuena/Benzema". D'une manière générale, le sport est rarement présent dans l'univers de Shadowrun. Je crois que c'est en partie du à l'introduction de nouveaux sports "cyberpunk" inspirés de Rollerball et Running Man - l'urban brawl et les combats bikes. Mais je crois que là aussi, l'imagination a du mal à faire le lien. Qu'on aime ou pas, les sports comme le football et le rugby en Europe, le football américain, le basketball, le baseball et le hockey sur glace aux Etats-Unis occupent une place culturelle, inscrite dans l'imaginaire collectif. Les sports futuristes de Shadowrun ont du mal à prendre leur place (entre autre à cause d'une trop grande complexité). On a du mal à concevoir comment ils ont pu apparaître, sauf à les imaginer comme de purs produits des médias (plus proches d'American Gladiator ou de Fort Boyard que d'un sport en fait). Les combat bikes peuvent à la rigueur se raccrocher à l'Indycar pour le public américain. L'urban brawl est sensé être une invention de gangs français, ce qui explique diffilement l'emploi généralisé d'armes à feu - ca ressemble de fait plus à une évolution hardcore du paintball et de l'airsoft. Pour autant, les sports "traditionnels" sont restés discrets dans l'univers de Shadowrun, par souci peut-être de ne pas paraître assez cyberpunk. Se pose également la question de l'intégration des différents métatypes dans les compétitions sportives, les trolls biaisant assez largement les critères physiques. J'ai mis de coté toutes ces considérations, parce que j'aimais aussi bien l'idée d'insister sur la présence des mégacorporations comme sponsors des clubs de football européens. J'ai aussi envisagé de faire de Nimeiri une joueuse d'équipe féminine, pour ajouter une touche de modernité (à défaut d'être cyberpunk), mais ca n'évoquait pas assez à mon goût l'aspect financier et mercantile du football pour l'instant strictement associé aux équipes masculines.
Le personnage de Stephanie Rapp est une idée un peu forcée. Dragons of the Sixth World mentionne que le gang a accepté dans ses rangs l'intégration de bretons et d'autrichiens, suivant une théorie reliant les nubiens aux celtes, avec une étape dans les Alpes autrichiennes. J'avais déjà du mal à élaborer la logique d'expanson géographique des Knights of Rage vers l'Australie, j'étais vraiment perplexe quant à la façon de les relier à l'Autriche. J'ai pensé restreindre cette connexion à une petite équipe spécialisé, ayant été intronisée comme Knights of Rage après une longue et fructueuse collaboration avec le gang. Dans cette première version, Stephanie Rapp (qui n'avait pas encore de nom à ce stade) aurait été une spécialiste du vol d'objets d'art. Dans le même genre, le cas des pêcheurs bretons impliqués dans les trafics par voie maritime devait être illustré par le profil d'un trafiquant, justifiant de la même façon cette mention de membres en Bretagne, mais je n'ai pas été inspiré de ce coté-là
Le personnage d'Oyardal, connu uniquement sous un pseudonyme, peut rappeler OVATION dans mon dossier sur Eurotronics. Je suppose qu'à devoir imaginer une dizaine de personnages dans chaque dossier, je finis par recycler les mêmes idées.
Au moment où j'envisageais de faire un dossier unique sur les agents de Celedyr, regroupant les Knights of Rage et Eurotronics, je voulais y ajouter le DSA, le Department of Special Activities de Transys Neuronet. J'avais inventé ce service pour étoffer l'historique d'un personnage-joueur que je maîtrisais il y a quelques années. Il s'agissait d'une petite équipe de hackers et de riggers basés aux Pays de Galles, et utilisant comme couverture la Driving Standards Agency, l'agence chargée de la sécurité routière et de la délivrance des permis de conduire au Royaume-Uni (et pour laquelle Transys Neuronet aurait pu assurer l'homologation des autopilotes routiers). Je trouvais cà tout à fait dans l'esprit des couvertures très administratives typiques des séries d'espionnage britannique. Au passage, je signale que j'ai utilisé Grande-Bretagne plutôt que Royaume-Uni dans le texte, puisque les deux sont devenus synonymes avec la sortie de l'Union de l'Irlande du Nord.
Parmi les autres idées qui auraient pu trouver leur place, l'idée même de chefs de gang qui s'habillent et se comportent comme des anciens nubiens aurait pu faire rétrospectivement écho au phénomène de "réincarnation" des souvenirs d'anciens égyptiens observés en Egypte dans les années 2060 d'après Target: Awakened Lands.
Pour les illustrations, je suis allé chercher dans Wikimedia des photos de lieux en lien avec le gang. Evidemment, on ne voit pas le centre de recherche de Transys Neuronet à Caerleon, ni aucun élément cyberpunk ou magique. Le quartier précis de Southwark où s'est formé le gang n'est précisé nulle part (je n'ai pas trouvé d'indication dans la réalité sur un quartier où seraient présents des communautés originaires d'Afrique de l'est). Dans Lambeth, il est seulement question de Brixton Estates, sans préciser s'il s'agit de Stockwell Park, Myatt's Fields, Angell Town, Loughborough, Moorlands, St Matthew's, Tulse Hill... Loughborough s'avère être l'un des plus importants, et c'est celui dont j'avais les meilleures photos utilisables. J'aurais pu m'affranchir de la mention de Brixton pour déplacer le quartier général des Knights of Rage dans les immeubles de Dawson's Heights qui ont un air parfaitement sinistre.
En faisant mes recherches concernant Melbourne et l'Australie, j'ai découvert les Apex, décrit par le Herald Sun comme un gang soudanais particulièrement violent - et apparement plus ou moins inventé à partir de plusieurs affaires impliquant des délinquants d'origine africaine. Réel ou pas, ca collait presque parfaitement, si ce n'est que les soudanais mis en cause venait du sud du pays. Je n'ai pas non plus trouvé de gang ou de quartier de Melbourne qui aurait eu une population nubienne.
En Afrique, la rebellion nubienne était sensée opérer dans le nord du Soudan, plutôt que dans le sud de l'Egypte où se trouve une partie de la population nubienne. Sixth World Almanac avait, sans aucune explication, fait disparaître le Soudan de la carte pour intégrer son territoire dans l'Egypte (Soudan du Sud inclus, Shadowrun n'ayant pas suivi cette évolution de notre ligne temporelle). C'est une initiative personnelle que d'expliquer ce changement par une intervention consécutive à la rebellion. Port Soudan se situe plutôt en dehors de la région d'implantation, mais je trouvais cette ville portuaire plus intéressante et un peu plus grande qu'Assouan pour y baser les activités du gang. C'était un choix intermédiaire par rapport à Khartoum, qui est une ville beaucoup plus importante mais encore plus éloignée (la grande "ville" de la Nubie soudanaise étant Dongola, qui compte à peine 15 000 habitants). D'une manière générale, j'aurais peut-être du prendre le temps d'élaborer un historique plus précis et complet de la rebellion nubienne, que je ne fais qu'évoquer de manière imprécise dans les différents volets de la description du gang. De la même manière, j'ai envisagé de faire un encadré plus précis sur les événements qui mènent à la création de la Lambeth Containement Zone, qui apparaîtra peut-être dans une mise à jour du dossier.