Shadows of Europe | 20/03/2011

J'ai toujours une petite pointe de fierté en disant que j'ai participé à l'écriture du supplément Shadows of Europe (SoE), L'Europe des Ombres en français. A l'origine de ce supplément, il y a eu un projet amateur, l'EuroSourceBook (EuroSB), né sur les Dumpshock Forums vers 1999 ou 2000, de décrire l'Europe dans l'univers de Shadowrun sur le modèle de Shadows of North America, en mettant à jour ce qui pouvait exister (London Sourcebook, Tir na nOg, Deutschland in der Schatten et les autres suppléments allemands) et surtout des pays comme l'Italie ou l'Espagne, qui n'avait jamais été décrit autrement que par de brèves mentions. L'EuroSB essayait de trouver pour chaque pays des auteurs natifs du cru. Peter Taylor, un anglo-portugais, jouait le rôle de chef. Il y avait des allemands, des britanniques, des espagnols, des français, des polonais, un italien...

Vers la fin de l'année 2000, mon premier site web Shade avait moins d'un an d'existence. J'avais commencé l'écriture d'un dossier sur Stockholm en 2060. Mon principal problème pour ce genre de projet était de ne pas connaître les lieux que je voulais développer. Par ailleurs, je souhaitais aussi quand le matériel me paraissait de bonne qualité, être sur la même longueur d'onde que ce que d'autres sites web pouvaient fournir. En faisant mes recherches, j'ai découvert que plusieus personnes natives de la région travaillait sur Stockholm et les pays scandinaves, dans le cadre de l'EuroSB. En me joignant au projet, je laissais à des gens qui connaissait la région de la décrire, en ayant l'opportunité d'apporter mes idées quant à des développements propres à l'univers de Shadowrun. Et du même coup, je me lançais avec l'équipe française dans la description de notre pays.

L'équipe EuroSB a soumis à l'éditeur FanPro une proposition pour écrire officiellement un supplément officiel. La proposition a été accepté et l'EuroSB est devenu Shadows of Europe. Ca nous obligeait à ne plus discuter du contenu sur un forum public. Quelques auteurs qui travaillait déjà avec FanPro nous ont rejoint, principalement pour écrire le chapitre sur l'Irlande/Tir na nOg, pour lequel nous n'avions aucun auteur local et qui avait une place assez particulière dans l'univers de Shadowrun. Nous avions aussi accès avant leur publication à des extraits de suppléments qui pouvait nous concerner. Ainsi, avant la sortie de Threats 2, nous avons pu constater que nous avions été devancé sur un retour des templiers dans le Sixième Monde.
Nous avions prévu d'utiliser les templiers comme force de sécurité de la seule église catholique française, en jouant sur l'ambiguité quant à savoir si l'ancienne conspiration templière n'avait pas survécu et manipulait l'église. La toile de fond principale de la France, telle que décrite dans Shadows of Europe repose sur la loge française de la Loge Noire (une organisation décrite dans Threats) qui avait infiltré le clergé français et aidé des représentant de l'aristocratie française et prendre le contrôle des leviers du pouvoir. Pour ce qui est de la force de sécurité de l'église, j'avais proposé la création d'un ordre de Sainte-Jeanne d'Arc (son statut de sainte autorise la création d'un ordre, et son patronnage serait approprié pour une force de sécurité française). Les membres de cet ordre auraient été les "Archers". L'idée n'a manifestement pas plu et n'a pas été reprise.

Une péripétie du même genre était déjà survenu un peu plus tôt, avant que FanPro n'accepte notre offre. C'est seulement à la sortie de Rigger 3 que nous avions pu lire le chapitre sur les principales corporations qui produisaient des véhicules. Airbus, Aérospatiale et Saab apparaissaient, et GIAT Industries (l'ancien nom de Nexter) était une filiale de Saeder-Krupp.
Je m'étais donné peu de temps auparavant la tâche de contrôler toutes les références aux corporations dans l'EuroSB. On avait dressé une liste de toutes les corporations européennes, et de leur filiation éventuelle aux mégacorporations. Plus que les références obscures dans de vieux suppléments, le risque principal était d'avoir dans chaque pays des corporations présentés comme leaders de tel ou tel domaine, et qui ne seraient présentes dans aucun autres pays. En fait, le manque de place dans Shadows of Europe a contraint à faire l'impasse de beaucoup de choses et à se concentrer sur les éléments les plus typiques. De plus, il y avait toujours (même du mon coté) un genre de nationalisme latent, où personne ne voulait que son champion national tombe dans l'escarcelle d'une corporation étrangère. La partie de Shadows of Europe sur les grandes corporations donne au moins le sentiment qu'elles ne sont pas attachés à un seul pays, même si ca n'est pas tout à fait vrai. Un autre enjeu était la domination que Saeder-Krupp était sensé avoir sur l'Europe. Personne ne voulait l'appliquer strictement tant le résultat aurait été monotone. A la place, les choses sont plus subtiles, avec des mégacorporations comme AG Chemie Europa, Esprit Industries, Regulus Joint Industries ou Renault-Fiat, qui sont manifestement sous l'influence de Saeder-Krupp au travers d'une participation, d'un siège au conseil d'administration ou d'un partenariat industriel.
Le principal effet de ce rôle de "responsable des corporations" a surtout été de me faire faire des recherches sur les corporations dans Shadowrun et dans le monde réel, jusqu'à atteindre ce que j'oserais qualifier d'expertise en la matière. Il convient quand même de signalier que j'ai écrit la description des mégacorporations européennes avec Peter Taylor, à raison d'une vingtaine de version, où il a ajouté des idées et surtout rédigé le texte avec un niveau d'anglais que je n'aurais jamais atteint tout seul.


La France avait été décrite dans un supplément éponyme, France publié uniquement en français par Jeux Descartes en 1997. J'ai souvent vu ce supplément être critiqué, et je l'ai moi même fait. Néanmoins, j'en suis venu à désapprouver certaines attaques que je trouvais un peu trop violentes. Sur certains points, il faut se souvenir que les auteurs n'avaient pas à l'époque accès à des ressources comme Wikipedia pour faire leurs recherches.
- La majorité des gens se focalisent sur le retour au pouvoir de la noblesse, idée qu'ils jugent idiote et irréaliste. A l'origine, ce sont les auteurs britanniques Carl Sargent et Marc Gascoigne qui faisait référence aux "French ruling aristocrats" dans le London Sourcebook. Je reviendrais sur ce point un peu plus tar.
- Des références multiples à la royauté, une "armée royale" par exemple, mais pas de roi. Ca pourrait être les restes d'une première version où la France aurait été une monarchie, mais je n'ai jamais pu en avoir la confirmation.
- Une tendance assez systématique à parler des meilleurs du monde. Meilleurs laboratoires, la meilleure sécurité informatique (capable de résister au Crash de 2029), les meilleures forces spéciales, les meilleurs magiciens, le plus grand dragon du monde, et ainsi de suite. On retrouve la même chose dans beaucoup de suppléments locaux, qui veulent "vendre" un endroit en particulier au reste du monde.
- Quelques défauts de documentation, le plus remarquables à mon niveau étant que Toulouse ne fait pas parti des sites majeurs d'Airbus.
- Monsieur de Fontainebleau, le grand méchant de l'histoire, un agent des Horreurs (pour simplifier, les forces du mal) ridiculeusement puissant et influent. Ca n'aurait pas été un problème si 1°) il avait effectivement joué un rôle par la suite dans la gamme 2°) il n'était pas arrivé alors que l'intrigue tournant autour des Horreurs n'était pas en train de se terminer, alors que beaucoup de gens la critiquait pour être trop éloigné de leur façon de jouer à Shadowrun (NdlA : des informations plus récentes semblent indiquer que certains éléments avaient été mis à la demande du chef de gamme américain Tom Dowd, qui comptait précisément les utiliser par la suite, ce qui ne fut jamais fait).

Tant que l'EuroSB était un projet amateur, les auteurs français se donnaient la possibilité d'ignorer largement ce supplément. France n'avait jamais été traduit en anglais. FASA, l'éditeur américain à l'époque, avait simplement validé une note décrivant les principaux points. Même lorsque nous somme passé officiellement dans le giron de FanPro, cette situation, le précédent allemand, et un argumentaire assez travaillé nous laissait la possibilité de remettre en cause les éléments dont nous ne voulions pas. Nous étions seulement tenu par cette note synthétique et par les mentions précédemment faite dans d'autre suppléments. Ce qui incluait la noblesse décrite dans London Sourcebook. A l'inverse, des suppléments comme Matrix et Target: Matrix ne faisait aucune mention de la maîtrise technologique française, et le premier indiquait même que Saeder-Krupp opérait le réseau français. Ces suppléments américains officiels et plus récents devaient avoir la précédence. Pour ma part, je me faisait aussi l'avocat d'une forme au moins limitée de compatibilité entre les deux suppléments, de telle façon que les maîtres du jeu qui avaient utilisé France, malgré tous les défauts que nous lui trouvions, pourraient tant que possible utiliser l'EuroSB/Shadows of Europe.

Il y a une part de "compatibilité en creux". Certains éléments sont absents, mais il pourraient être présents. C'est le cas notamment de Monsieur de Fontainebleau. Dans d'autres cas, il y avait une part de contradiction plus formelle, par exemple sur la nature du régime politique (une oligarchie institutionnelle dans France, un république de principe qui était une oligarchie de fait dans Shadows of Europe). D'une manière générale, beaucoup de choses ont été modifiées plutôt que d'être supprimées. La Brume de Bretagne est toujours présente, mais elle apparaît de façon aléatoire au lieu de recouvrir toute la région en permanence. Il n'y a plus le plus grand dragon du monde endormi au fond du cratère du puy de Sancy en Auvergne, mais une masse de nature indeterminée détectée sous le puy de la Taupe (choisi parce qu'un grand dragon de l'époque d'Earthdawn s'appelait Moleskin en anglais, et pouvait avoir des liens avec l'apparition de chrétienté).


Je crois que le projet EuroSB et Shadows of Europe ont eu une grande influence sur Shadowrun. Le majorité des auteurs ont continué pendant plus ou moins longtemps à écrire pour Shadowrun (pour ma part, j'ai essuyé deux échecs en me proposant pour Loose Alliances puis SOTA:2064 ; quand j'ai finalement participé à Shadows of Asia, un manque de temps soudain lié à mon travail m'a obligé à me retirer à l'improviste). Les auteurs allemands ont plus ou moins pris le contrôle de la gamme allemande. Peter Taylor, qui dirigeait le projet, est finalement devenu le Line Developper de Shadowrun. Ce renouvellement des équipes a aussi ouvert la voie à une description plus large du monde de Shadowrun, à commencer par Shadows of Asia (où j'ai repris pour un temps mon rôle de "responsable des corporations"), avec des intrigues qui impliquaient plus d'acteurs, plutôt que les japonais, les américains et les aztlanais. Bien qu'on ne puisse pas non plus ignorer Shadows of North America, SoE avait établi un nouveau standard en matière de recherches et de documentation, au sein de la gamme Shadowrun et de manière plus large. Certains éléments étaient repris de supplément vieux de pratiquement dix ans (comme Johnny Spinrad, apparu dans Shadowtech, ou Esprit Industries, dans Fields of Fire). En fait, la performance n'était pas si impressionante que ça. Elle devait beaucoup au fait que Descartes avait accumulé beaucoup de retard dans la traduction en français de la gamme Shadowrun. Ces éléments étaient beaucoup plus récents pour nous, et certains avait déjà été repris dans France. Ces recherches avaient été d'autant plus faciles que nous avions pu travailler pendant beaucoup plus longtemps que c'est le cas d'habitude. SoE était aussi le plus gros supplément jamais publié, jusqu'à la sortie de Shadows of Asia.

Quand Blackbook Editions a repris l'édition française de Shadowrun avec la 4e édition, Shadows of Europe a été publié en français sous le titre L'Europe des Ombres (bien qu'il s'agisse d'un supplément de la 3e édition). La traduction a été faite par un peu tous les gens de la communauté Shadowrun que je connais. Pour ma part, j'avais traduit moi-même les parties que j'avais écrite. Au moins, je connaissais le sens et les sous-entendus du texte. L'exercice n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire, dès lors qu'on utilise des expressions idiomatiques.

Le collectif Ombres Portées, qui réunit les auteurs français de Shadowrun, a écrit des chapitres supplémentaires pour plusieurs suppléments lors de la traduction française, ainsi qu'un supplément franco-allemand, SOX. A ma connaissance, hormis l'aide occasionelle que je leur fournis, le seul membre de l'équipe française de l'EuroSB/SoE qui en fasse parti est Namergon. Mon impression personnelle à la lecture de ce contenu (indépendament de tout jugement de qualité) est une volonté de "casser" beaucoup d'éléments contenus dans Shadows of Europe, comme la présence de la noblesse (balayé par un scandale politique dans SOX) ou le statut particulier de Marseille (minimisé et même ignoré dans Capitale des Ombres). Comme toujours, je suis toujours un peu gêné que des éléments sur lesquelles j'ai pris le temps de travailler pour les intégrer dans des suppléments et dans mes parties soit remis en cause. Du coup, on s'est retrouvé un peu au même niveau quand Esprit Industries est passé dans le giron d'Aztechnology sur la seule décision d'un auteur américain.